La maman et la putain.

Bernadette Lafont n'est plus, alors Arte a eu l'idée lumineuse de nous diffuser La maman et la putain, film de Jean Eustache censé l'avoir révélée.
Ce film est considéré par beaucoup comme un monument du cinéma.
"Il est même classé 2ème "meilleur film français" de tous les temps par un jury de professionnels du cinéma." (dixit Wikipédia)
Je ne pouvais pas ne pas le voir.
Et vous non plus.
Il est encore disponible sur le site d'Arte, très peu de temps alors dépêchez vous.





J'ai regarder La maman et la putain avec une réelle appréhension.
Un film en noir et blanc, de presque 4h, et sur lequel je ne savais rien d'autre que "Jean Eustache y raconte sa rupture et ses amours, tu vas voir c'est épatant."
Bon.


Alexandre (Jean Pierre Léaud) et Marie (Bernadette Lafont)

Je l'ai vu donc. Et oui j'ai été épatée.

Le film donne l'impression de raconter l'histoire d'Alexandre, jeune bobo nihiliste et narcissique, qui vit entouré de femmes.
Et en fait c'est plutôt sur elles que le film repose.
Gilberte d'abord, celle qu'Alexandre aime éperdument au début du film. Il lui demande de l'épouser, ce qu'elle refuse avec difficulté. On démarre avec ça, une conversation entre lui et elle dans un café.
Gilberte qui ne prend pas au sérieux l'amour d'Alexandre et Alexandre qui ne prend pas Gilberte au sérieux lorsqu'elle le repousse.
Quand ils se quittent, Alexandre voit une femme qui le regarde, au moment où elle s'en va, il l'accoste. C'est Veronika, la "putain". 
Alexandre vit chez Marie, une "vieille de 30 ans", la "maman", qui l'aime, le couve, et le loge.
Le tout à Paris, dans des cafés, dans les rues, et chez Marie principalement.
Voilà pour le décor.




J'ai trouvé ce film assez difficile à regarder au départ, ne serait ce qu'à cause du phrasé des acteurs.
On dirait que tout le monde s'en fout, qu'ils se traînent tous et se fichent de savoir si les spectateurs auront envie d'écouter la prochaine phrase. Le texte est récité d'une telle façon qu'on a vraiment peur de ne pas pouvoir suivre le film sans avoir envie de tous les baffer à tour de rôle.
Et puis non.
Enfin si.
En fait, j'ai aimé ce film autant que j'ai détesté le personnage d'Alexandre.
Cet espèce de faux dandy, parasite, intellectuel égocentrique qui semble théorisé chaque aspect de sa vie. Narcissique pédant, parano et jaloux qui parle de la médiocrité des autres sans déceler la sienne.
Alexandre mérite des claques. Ça oui.
Mais ce qu'il dit reste pourtant tellement vrai par moment. Ses théories sont parfois tellement justes et surtout les expressions et l'attitude de Jean Pierre Léaud qui joue le mauvais rôle font vite oublier la froideur de la diction.
Et Veronika et Marie, ses deux femmes amoureuses, sont toutes les deux tellement pures qu'on s'en fout pas mal.
Finalement j'ai regardé le film avec la douce impression de lire un livre.
On croirait qu'Eustache a voulu nous empêcher d'entrer dans le film avec cette façon de faire jouer ses acteurs alors que c'est impossible de ne pas s'identifier à l'un ou à l'autre de ces personnages torturés.

Alexandre est détestable donc. Dans sa façon, avec Gilberte d'abord, de nier le fait qu'elle le repousse, de lui dire, quand elle lui apprend qu'elle va se marier, que c'est un choix médiocre, qu'elle ne choisit pas l'amour, qu'elle ne peux pas lui dire l'avoir tant aimé et le laisser là, que ce n'est pas honnête de l'abandonner pour vivre cet amour "social".
Il lui déclame tout ça alors même qu'il est entrain d'attendre Veronika draguée quelques jours plus tôt, après la "première rupture" avec Gilberte. Il parle médiocrité et honnêteté alors qu'il est lui même entrain d'essayer de se sauver de Gilberte avec Veronika.
Détestable encore, il l'est avec Marie. Qui ne cesse de lui dire et de lui montrer qu'elle l'aime, qui accepte tout et n'est pas (ou peu) jalouse, qui attend de lui sans espérer vraiment. Et qui subit de lui les autres (Gilberte avant, et Veronika ensuite), le manque d'attention, le pillage de son temps, de son argent, de son amour et du reste. 
Bon, je n'ai vraiment pas aimé Alexandre. Qui fait subir aux femmes ce que lui n'accepte pas.
Je crois que pour que ça soit à ce point là, pour qu'il soit aussi tête à claque, selon moi, c'est que c'était une volonté du réalisateur. Ce dégoût d'Alexandre laisse une place extraordinaire aux femmes du film.
On les écoute et on les entend comme on ne l'aurait sûrement pas fait sans ça.
Mais peut être que je le ressens comme ça parce que je suis une fille et que je me reconnais forcément un peu dans la maman, dans la putain et dans Gilberte.
Peut être.
Toujours est il que les femmes de ce film ont une place qu'elles ont rarement eu au cinéma, surtout à l'époque et à ma connaissance. Tout tourne autour d'elles, même le narcissisme d'Alexandre.
Ses tourments à lui, ses monologues, ses observations, son égocentrisme, ne renvoient qu'à elles.
Lui n'est que théorie alors qu'elles sont réelles.


Alexandre et Veronika (Françoise Lebrun)

Dans la deuxième partie du film, on (je) déteste un peu moins Alexandre.
Veronika, Marie et lui commencent à s'entremêler. Il n'est pas vraiment question d'un ménage à trois puisque finalement c'est comme ci il n'y avait aucun couple de tout le film. Même Gilberte et Alexandre finalement apparaissent comme couple "bâtard" quand Alexandre fait un monologue au sujet d'elle. Et même dès le départ d'ailleurs, quand il lui explique qu'il a suffit qu'elle parte pour qu'il la retrouve en lui. Comme si son amour pour elle, sa souffrance, était nés de son départ. Nés de son égocentrisme et non d'elle. 
Bref, toujours est-il que Veronika et Marie, quand le trio se forme, deviennent plus ou moins amies. Marie devient plus jalouse qu'elle ne le laissait paraître (en fait, l'arrivée de Veronika face à elle lui permet en quelque sorte de crier sa jalousie qui était palpable mais pas assumée), et Veronika devient bavarde et moins discrète.
Alexandre lui a le regard triste d'un enfant à qui on a confisqué ses jouets. Il semble totalement désœuvré entre ces deux femmes, comme s'il avait l'impression de n'être plus rien alors que c'est lui le tout qui forme ce trio. Il se laisse bringuebaler entre les deux.
Veronika qui gueule son envie d'aimer et d'être aimée, qui explique que la baise c'est de la merde, c'est sale et bête à en crever. Que baiser ça ne devrait exister que pour les gens qui s'aiment vraiment, qui veulent avoir un enfant, que les autres couples, ceux qui ne veulent pas d'enfants, n'existent pas, ils sont comme la baise : de la merde.
Et Marie, amoureuse de lui au point de tout accepter, même d'être amie avec sa maîtresse. Jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus.

On voit le tourment de ces trois personnages fictifs et on vit tout avec eux.
Et on prend une claque tant le fictif est réel et tant on connait le jeu qu'ils sont entrain de jouer.
J'ai beaucoup spoilé, mais si vous ne l'avez pas vu voyez le.
Si vous avez déjà été amoureux, vous aimerez.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire